Si le plan de relance national ne sera pas présenté avant la rentrée septembre (voir notre article du 30 avril 2020), les collectivités s’activent depuis plusieurs semaines sur ce dossier délicat. Très délicat même au vu du contexte financier qui se profile pour elles, sur fond d’explosions des dépenses (mesures économiques d’urgence, aides sociales…) et d’effondrement des recettes à venir. Les régions ont été les premières, le mois dernier, à se positionner à travers leur proposition de "New Deal industriel et environnemental", sorte de pacte de relance conclu avec l’Etat. Dans un entretien publié sur le site de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT), daté du 30 avril, Renaud Muselier, président de Régions de France, est venu préciser le rôle des régions dans la "reconstruction du système économique du pays", dès le 11 mai, "en privilégiant la réindustrialisation et la résilience des territoires, la sécurité des chaînes d’approvisionnement dans les secteurs les plus stratégiques, notamment la santé, mais aussi la transition écologique ou la couverture numérique)". Ce "grand plan de reconstruction" devra ensuite être co-construit "entre l'État et les régions, en lien avec tous les autres niveaux de collectivités locales et les acteurs concernés", à travers une "nouvelle politique contractuelle dotée d’un niveau d’ambition inégalé". "La nouvelle génération des contrats de plan État-régions, adossée aux fonds structurels européens, peut être l’instrument de cette ambition", préconise-t-il.
Pactes de relance territoriaux
Pour ce qui est de nouvelle politique contractuelle, les intercommunalités ont déjà quelques idées. "Avant même d’engager un plan de relance de l’économie, c’est à un plan national de reprise de l’activité qu’il va falloir s’atteler", insiste l'Assemblée des communautés de France (ADCF) dans un document intitulé "Quelle reprise, quelle relance dans les territoires à la fin du confinement" publié fin avril. Elle préconise après la phase de reprise ou de rebond, l'élaboration de "pactes territoriaux de relance et de croissance" qui devront être signés pour la fin de l’année, dans le cadre des grandes programmations pluriannuelles (CPER, fonds structurels 2021-2027). Ces pactes s’articuleraient autour de trois axes stratégiques : la transition écologique (soutien budgétaire aux actions d'efficacité énergétique des logements, bâtiments publics et équipements collectifs, soutiens des projets d'économie circulaire, développement des filières de recyclage et de réemploi), le développement économique (relocalisation d'activités industrielles, financement accéléré des projets d'investissement des Territoires d'industrie, recyclage de fonciers industriels et la requalification des zones d'activités), et la cohésion sociale (relance de la production de logements sociaux, structures d'accueil et d'hébergement, soutien des maisons France Services, reconquête des centres-villes, investissements massifs dans les hôpitaux…).
À noter que l'ADCF défend depuis plusieurs années l'idée de contrats globaux, pour prendre le relais des dispositifs existants qui se sont multipliés au fil des années (Cœur de ville, Territoires d'industrie, contrats de ruralité, contrats de villes, etc.). "Il y a de plus en plus de contrats à notre échelle, plaide Nicolas Portier, délégué général de l'ADCF, en parallèle de l'urgence et de la reprise de l'activité économique, il faut travailler sur les priorités structurantes, avoir une vraie stratégie, à travers ces contrats globaux."
L'objectif avec ces plans territoriaux : lancer des programmes d'investissement territorialisés dès la fin 2020 ou début 2021, en fonction des mises en place des nouvelles équipes exécutives. Une partie d'entre elles, dans 30.000 communes, disposent déjà de conseillers élus, qui, même s'ils ne sont pas encore en fonction, peuvent déjà, selon l'ADCF, réfléchir à leurs premières décisions. Pour les autres, "un travail de recensement des projets ou des décisions d'investissement d'entretien courant, rapides à mettre en œuvre pourrait être encouragé", signale l'ADCF dans son document.
Les territoires différemment touchés par la crise
L'idée de pactes différenciés et ciblés en fonction des territoires et des filières se justifie par un constat très net : tous ne sont pas touchés de la même façon par la crise sanitaire et économique actuelle. "Nombre de territoires 'abrités' de 2008 ne le seront pas du tout cette fois-ci", insiste l'ADCF qui s’est livrée à un véritable travail d’analyse cartographique. Parmi ceux qui pourraient mieux s'en sortir : les bassins de vie dont les revenus proviennent massivement des transferts sociaux (pensions de retraites, allocations, remboursements des soins, …) ou d'activités non-marchandes. Même chose pour certains territoires ruraux moins affectés grâce au maintien plus important de l'activité agricole et agro-alimentaire et des territoires pour qui le poids dans l'économie locale des administrations publiques, des structures hospitalières, et/ou de quelques secteurs tertiaires marchands maintenus sous forme de télétravail joue un rôle stabilisateur et contra-cyclique sur l'emploi et la consommation.
À l'inverse, les territoires très tributaires du tourisme, du bâtiment et de l'économie résidentielle marchande vont fortement subir la crise de plein fouet (Alpes, Corse, littoraux…), de même que les intercommunalités à "socle productif" industriel important.
L’ADCF a également engagé avec la Banque de France un travail pour évaluer la "résilience" des économies locales, à partir de la part de l’emploi dans les entreprises jugées fragiles. Dans certaines intercommunalités, avant même la crise, plus de 40% des salariés travaillaient dans des entreprises dîtes fragiles, pour la plupart dans des territoires ruraux ou semi-ruraux, comme la Nièvre, l’Allier, la Marne, l’Orne, l’Eure, le Pas-de-Calais, les Pyrénées-Orientales… Autant d’arguments qui plaident pour un pilotage local des politiques de relance. Ce qui permettrait aussi d’éviter les effets d’aubaines concernant les aides publiques.
Un "grenelle" de la commande publique et de l'investissement
La commande publique occupera une place stratégique dans ce vaste plan de relance, puisqu'elle concerne de nombreuses filières économiques : le bâtiment, bien sûr, mais aussi les grandes entreprises délégataires, l'ingénierie, les cabinets d'architectes, les professions juridiques. Elle touche aussi fortement les filières agro-alimentaires (impacts des fermetures de cantines scolaires ou de restaurants administratifs). Pour donner davantage de visibilité aux besoins d'investissement, l'ADCF propose la mise en place d'un "grenelle de la commande publique", piloté par le ministère de la Cohésion des territoires, en lien avec les ministères de l'Ecologie et de l'Economie. "Nous avons besoin d'être au clair car nous encaissons de fortes pertes de recettes fiscales et tarifaires ; il nous faut de la visibilité, détaille auprès de Localtis Nicolas Portier, c'est important d'avoir ce rendez-vous que nous demandons depuis plusieurs années, pour savoir de quels moyens nous pouvons disposer." Les pertes de recettes des collectivités du fait de la crise sont estimées à hauteur de 4 milliards d'euros en 2020 et 10 milliards en 2021 par Bercy (voir notre article du 30 avril 2020).
Or, la commande publique venait juste de se refaire une santé après des années difficiles. D'après l'observatoire de la commande publique, créé par l'ADCF avec la Banque des territoires, après une baisse marquée entre 2014 et 2016, elle a ainsi commencé à se redresser à partir de 2017 pour revenir en 2019 à des niveaux proches de ceux de 2012-2013 (en 2012, 96 milliards d'euros de marchés ont été attribués). Et en 2019, le bloc communal représente 41 milliards d'euros, soit près de la moitié de la commande publique totale, sans compter les 5 milliards d'euros de commande des offices publics HLM et les 2,8 milliards des entreprises publiques locales.
Relocalisation
La commande publique peut en outre "servir d’accélérateur puissant de transformation sociale et territoriale", insiste l’association, qui plaide pour un vaste "plan de relocalisation", dans la lignée de l’ambition affichée par le chef de l’Etat fin mars ou des orientations prises par certaines régions comme le Grand Est qui s’est engagé dans un "pacte de relocalisation".
"Les chaînes de valeur du système productif sont très exposées aux ‘chocs externes’ en raison des intrants importés de l’étranger, et notamment de la Chine ou d’Asie, qui sont nécessaires aux processus de fabrication en France", constate l’association. Mais elle insiste aussi sur le caractère réversible de la dépendance à certains approvisionnements, rappelant la capacité des territoires et régions à se mobiliser en urgence depuis fin mars pour fournir certains produits (gel hydroalcoolique, masques, équipements de protection, respirateurs artificiels…). Il importe selon elle de dresser la cartographie des "zones de risques" et "maillons faibles" des chaînes d'approvisionnement en France, d'évaluer la substituabilité de certains biens ou composants en cas de crise, et de mesurer leur caractère stratégique. Bref, de recenser les potentiels locaux de relocalisation. Elle considère à ce titre que le programme Territoires d'industrie constitue "une opportunité", tout comme le repérage des sites "clés en main" conduit en début d'année. Cette relocalisation doit être accompagnée de "solutions de financement de l'investissement industriel et de garanties de débouchés durant une certaine période", souligne encore l'ADCF. Elle pourrait être "a minima organisée à l'échelle de l'Union européenne, en s'assurant du caractère coopératif des économies nationales". La commande publique des collectivités aura un "effet d’entraînement" sur le Made in France.
ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstFom55lnJZ6s7HPq6CsnV2hrm6%2BxKWYp5uVYsOmvtJmrKedXZa9sb7OnJ%2BeZaSav7O106ipopmcmg%3D%3D