Elisabeth Borne et ses ministres se sont déployés ce jeudi 29 juin sur plusieurs points chauds des violences urbaines déclenchées par la mort de Nahel, un adolescent tué par un policier, s'efforçant d'allier apaisement et fermeté pour éviter l'embrasement et la réédition des émeutes de 2005. Le président Emmanuel Macron, qui avait convoqué ce jeudi matin une cellule interministérielle de crise pour donner ses consignes avant de partir au sommet européen à Bruxelles, avait donné le ton, déclarant que la mort de ce jeune de 17 ans est "inexcusable", mais que les violences qui ont suivi sont "injustifiables".
En visite à Garges-lès-Gonesse, ville du Val-d'Oise dont la mairie a été incendiée, Elisabeth Borne a appelé "à l'apaisement", tout en affirmant que "s'en prendre aux symboles de la République est intolérable". Elle a pu se rendre compte de l'étendue des dommages dans cette ville de la banlieue nord de Paris. La mairie, un bâtiment moderne en verre, est en partie calcinée, le sinistre laissant apparaître ses structures métalliques. "On va voir comment aider le maire à redémarrer les services, à rouvrir la mairie", a-t-elle assuré.
La Première ministre s'est ensuite rendue à Bezons, également dans le Val d'Oise, où elle a visité le groupe scolaire Angela-Davis endommagé par un incendie. Selon le ministère de l'Education nationale interrogé par AEF info, "une cinquantaine de structures scolaires ont été touchées, à des degrés divers" par les violences urbaines survenues dans la nuit de mercredi à jeudi. Une "dizaine d’établissements" ont dû être fermés. "Les académies de Versailles, Créteil et Lille sont les plus atteintes par ces événements" tandis que celles "d’Aix-Marseille, Grenoble, Lyon, Montpellier, Rennes ou Toulouse ne compteraient aucun dégât".
Visiblement émue, la maire de Bezons, Nessrine Menhaouara, a insisté sur la nécessité de "restaurer la confiance" entre l'État, les élus et la population. "Ca fait très longtemps qu'on n'a plus de plan banlieue, qu'on n'arrive pas à apporter des réponses", a-t-elle dit alors que le gouvernement doit précisément se réunir en Comité interministériel des villes (CIV) ce vendredi 30 juin pour présenter le Plan Quartiers 2030 (la tenue de ce CIV est bien restée à l'ordre du jour malgré les événements - voir encadré ci-dessous). "Il y a beaucoup d'élus comme moi aujourd'hui qui sont très motivés à faire le travail. Mais à la fin de l'année, on est juste désespérés quand on voit nos moyens, on n'arrive pas à suivre", a-t-elle poursuivi.
Pour Elisabeth Borne, après ces deux nuits d'émeutes, "tous les élus passent le même message. Aucun élu, aucun maire, n'a envie d'avoir des équipements publics dégradés, des symboles si forts qu'un hôtel de ville dégradé." "C'est très important que l'on passe ce message et que toutes les associations qui interviennent auprès des jeunes soient très présentes aujourd'hui, dans les prochains jours". "On a bien compris qu'on avait des bandes, on peut appeler ça des bandes, qui sont très agiles et donc on s'adaptera en fonction de leurs actions", a-t-elle dit aussi.
Dans tous les esprits plane le souvenir des émeutes de 2005, quand les banlieues s'étaient enflammées après la mort de deux adolescents électrocutés dans un transformateur en tentant d'échapper à la police en Seine-Saint-Denis. A l'époque, le président Jacques Chirac et son ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy avaient décrété l'état d'urgence. Jeudi, des appels à en faire autant "sans délai" ont déjà été émis à droite et à l'extrême droite. "Ce n'est pas une option envisagée aujourd'hui", a-t-on répondu de source gouvernementale, faisant valoir que les outils de droit commun permettent de gérer la situation.
"Je crois qu'on peut mobiliser énormément de moyens (...) sans qu'on ait besoin de recourir à des articles particuliers de la Constitution", a réagi Gérald Darmanin, annonçant un déploiement sécuritaire plus important pour la nuit suivante : 40.000 policiers et gendarmes mobilisés, dont 5.000 à Paris (contre 2.000 la nuit précédente). Le gouvernement prévoit aussi un "changement de doctrine, plus offensive" dans la réponse aux émeutes, selon une source policière.
Par un communiqué diffusé ce jeudi après-midi, l’Association des maires de France (AMF) a exprimé "sa solidarité avec toutes les communes et leurs habitants confrontés aux violences inacceptables qui ont émaillé le territoire national chaque nuit depuis deux jours" et "son soutien à tous les maires, et en particulier à ceux dont les hôtels de ville et établissements ou équipements municipaux ont été la cible d'attaques violentes". Pour son président David Lisnard, "ce ne sont pas que des symboles qui sont attaqués, ce sont des outils de travail et des agents au service de la population". "Les victimes de cette violence sont d’abord les habitants eux-mêmes, par la détérioration ou la destruction de leurs biens personnels et des équipements collectifs dont ils ont besoin", poursuit l'AMF, qui "invite les maires à relayer dans leur commune un appel au calme, au dialogue et à l’arrêt des violences".
Elisabeth Borne avait maintenu ce jeudi après-midi la réunion prévue à Matignon avec les associations d'élus locaux. Cette rencontre avait initialement pour objet de faire un point d'étape sur l'"agenda territorial", avec un focus sur trois sujets : le plan de lutte contre les violences faites aux élus, le logement et la planification écologique. Au sortir du rendez-vous, Elisabeth Borne a indiqué qu'étant donnée la situation du moment, les violences urbaines avaient été "au coeur des échanges". Et que face à la gravité des faits, il avait été décidé de rédiger une déclaration commune au gouvernement et aux neuf associations présentes. Celle-ci a été lue par David Lisnard sur le perron de Matignon (à voir ici). Elle invite là encore à "éviter toute forme d'escalade", à faire savoir aux habitants des quartiers concernés que "les collectivités et l'Etat sont à leurs côtés" et à souligne combien "en s'en prenant à des mairies, des écoles et des équipements publics, les responsables de ces violences détruisent leurs propres quartiers et pénalisent d'abord celles et ceux qui y vivent".
Certaines mairies ont pris des dispositions particulières. Ainsi, un couvre-feu entre 21h et 06h est mis en place de jeudi soir à lundi matin à Clamart, où une rame de tramway a été incendiée. L'arrêté (mis en ligne sur le site de la ville) prévoit l'interdiction de "circuler, par quelque moyen que ce soit", sur plusieurs secteurs de la commune. La mairie de Compiègne, dans l'Oise, a également imposé un couvre-feu de 22h à 6h jusqu'à lundi matin, mais uniquement pour les mineurs de moins de 16 ans non accompagnés d'un parent ou représentant légal. Neuilly-sur-Marne ou encore Savigny-le-Temple en ont fait autant.
Enfin, en Ile-de-France, il a été décidé que les tramways et autobus ne circuleraient pas ce jeudi soir après 21h. "La décision est prise en lien avec la préfecture de police et les opérateurs de transports franciliens (…) pour assurer la protection des agents et des voyageurs", a annoncé la présidente d'Ile-de-France Mobilités (IDFM), Valérie Pécresse. Plusieurs bus et rames de tramway ont été pris pour cible depuis mercredi. La décision d'arrêter tous les transports publics de surface de la région capitale est plus radicale que ce qu'avait à l'origine demandé Valérie Pécresse, qui suggérait de limiter cette restriction aux quartiers touchés par les violences urbaines. Elle a en fait été prise par l'Etat, dans le cadre de la cellule interministérielle de crise, selon le ministère des Transports.
Pas de bus ni de trams non plus dans la métropole lilloise notamment, à partir de 20h, a indiqué en fin d'après-midi le gestionnaire du réseau Ilevia, sur "recommandations de la préfecture et des forces de l'ordre".
Selon un décompte publié par francinfo, 159 personnes ont été interpellées dans la nuit de mercredi à jeudi partout en France, dont 87 à Paris et en proche banlieue. 133 membres des forces de l'ordre ont été blessés. Jeudi matin, on recensait 27 attaques de locaux de la police nationale, 14 locaux de la police municipale et des dizaines de bâtiments publics ont été attaqués, dont huit mairies incendiées ou dégradées. Auxquelles s'ajoutent, donc, un certain nombre d'écoles et d'autres équipements tels que, par exemple, une médiathèque d'Amiens. Dans le quartier de grands ensembles d'Etouvie, cette médiathèque "qui venait d'être réceptionnée et devait être inaugurée prochainement a été complètement détruite", a indiqué la maire, Brigitte Fouré. Dans le quartier nord de l'Atrium, la mairie de quartier a été "dégradée et vandalisée" tandis que l'entrée d'un centre municipal d'activités pour la jeunesse, l'Odyssée, a été incendié. Dans le sud-est de la ville, une ancienne école accueillant une association d'insertion a également été vandalisée.
On s'interrogeait, ce jeudi, sur le Comité interministériel des villes (CIV) prévu pour le lendemain. Serait-il annulé, comme l'avaient été la plupart des déplacements ministériels du jour ? La confirmation est venue en fin de journée : il aura bien lieu, présidé par Elisabeth Borne, avec la participation de quatorze ministre. Rendez-vous est donné à Matignon à 11h30 (et non plus à Chanteloup-les-Vignes dans les Yvelines comme initialement prévu). Une allocution de la Première ministre est prévue à 13h "sous réserve". Mais, précise Matignon, "dans le contexte des tensions que connaissent certaines villes, le déroulé du CIV a été adapté : il permettra d’échanger sur les événements actuels", tout en présentant "les mesures que porte le gouvernement en faveur des quartiers prioritaires de la politique de la ville" avec le plan Quartiers 2030. |
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