sur la contractualisation avec les dpartements, "on a des choux et des carottes"

Publi le5 fvrier 2021par Jean-Nol Escudi / P2C pour Localtis Social, Emploi, Jeunesse, ducation et formation, Logement social Le 2 fvrier, la commission des affaires sociales de l'Assemble nationale a auditionn Marine Jeantet, la dlgue interministrielle la prvention et la lutte contre la pauvret. Celle-ci prsente la particularit d'avoir pris ses fonctions le


Le 2 février, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a auditionné Marine Jeantet, la déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté. Celle-ci présente la particularité d'avoir pris ses fonctions le 11 mars 2020, soit six jours avant le début du premier confinement. L'audition a permis de procéder à un tour d'horizon sur la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui semblait passée au second plan face à l'urgence de la crise sanitaire. L'occasion aussi d'apporter un certain nombre de précisions sur différents sujets, comme le sort du RUA (revenu universel d'activité), la contractualisation avec les départements ou les cantines à un euro.

La stratégie Pauvreté "percutée" par la crise sanitaire

Marine Jeantet n'a pas caché le contexte : deux ans après le lancement de la stratégie, en octobre 2018, celle-ci a été "percutée" par la crise sanitaire. Une crise qui a fortement perturbé la mise en œuvre du plan, mais a aussi agi comme un révélateur des inégalités, y compris dans l'exposition au Covid-19 et dans l'accès aux soins. Elle a également mis en évidence la fragilité de certains publics non protégés par le salariat et par des CDD : jeunes, indépendants, commerçants, intermittents, précaires... Face à cette situation, il y a eu une mobilisation sans précédent de l'Etat – dont la déléguée a rappelé les principales mesures – et des acteurs locaux. 
Paradoxalement, Marine Jeantet a expliqué qu'"on n'a pas de tableau de bord précis sur l'évolution de la pauvreté. On essaie d'en construire un". En revanche, elle a réfuté vigoureusement le chiffre avancé d'un million de personnes pauvres supplémentaires : "10 millions de pauvres ça n'est absolument pas validé. On doit être autour de 9 millions [...]. Il faut être prudent". Les signaux sont d'ailleurs parfois contradictoires : on observe ainsi une baisse des dépôts de dossiers de surendettement (mais les perturbations dans le fonctionnement des commissions ont pu dissuader certains), mais aussi une baisse des incidents bancaires signalés par les banques.

Un "stock de 30.000 expulsions"

Le seul chiffre fiable pour l'instant est celui des bénéficiaires du RSA, en hausse de 9% à la fin novembre 2020. Cette progression trouve d'ailleurs son origine moins dans une hausse des entrants que dans une difficulté des allocataires à sortir du RSA faute de contrats courts et de petits boulots, en fort recul depuis un an.
Pour autant, la déléguée interministérielle ne nie pas la probabilité d'une augmentation de la pauvreté. Mais elle insiste plutôt sur les inquiétudes liées à la sortie de la crise sanitaire. Elle a cité, par exemple, la constitution d'un "stock d'expulsions", lié aux allongements successifs de la trêve hivernale. En 2020, on a compté ainsi seulement 3.500 expulsions effectives, contre 17.000 en 2019, mais il existe désormais "un  stock de 30.000 procédures abouties pour le 1er avril" (désormais le 1er juin avec la nouvelle prolongation de la trêve hivernale), pour lesquelles il ne sera pas facile de trouver les solutions de relogement correspondantes.
La déléguée a évoqué aussi les risques potentiels lorsque prendront fin les dispositifs de chômage partiel qui ont protégé les salariés : les entreprises seront-elles alors à même de conserver tous leurs salariés ? De même, vis-à-vis des jeunes, l'inquiétude porte sur leurs possibilités d'insertion professionnelle dans un contexte de crise économique.

RUA : un rapport pour finir ?

En réponse aux questions des députés, Marine Jeantet a également apporté des précisions sur plusieurs points. C'est le cas notamment sur le projet de création d'un revenu universel d'activité (RUA), dont les travaux ont été stoppés, comme beaucoup d'autres chantiers, lors du première confinement : "Très honnêtement, ça n'a pas été la priorité des priorités pour reprendre les travaux au moment du déconfinement de l'été, puis de la préparation de la rentrée". Le Premier ministre a toutefois acté, à l'automne, une reprise des "travaux techniques".
Selon la déléguée interministérielle, "on va essayer, je dis bien essayer car pour l'instant on n'a pas les ressources – je rappelle qu'on est toujours en gestion de crise – de produire un rapport qui va capitaliser sur tout ce qui a été fait pendant 18 mois, parce qu'il y a eu des travaux extrêmement riches". Marine Jeantet pousse "pour un rapport public à la fin de l'année, un rapport technique qui n'engagera pas le gouvernement, un rapport qui présentera les différentes options possibles, les chiffrages, et qui permette d'alimenter le débat public". Autrement dit, un rapport qui pourrait alimenter les propositions lors de la campagne présidentielle de 2022.

Contractualisation avec les départements : "on est parti sur du temps long"

Sur la question des jeunes, Marine Jeantet a insisté sur le fait que la notion même de jeunes n'est pas forcément très signifiante. En effet, il existe "plein de types de jeunes. Il y a les étudiants, mais aussi des jeunes très précaires, qui ne se font pas entendre". Dans ces conditions, elle estime qu'un RSA jeunes – dont le coût serait de l'ordre de 13 à 14 milliards d'euros – ou toute autre allocation généralisée à tous les jeunes "n'est pas justifiée". La priorité est d'identifier les jeunes qui ont besoin d'un soutien monétaire, mais il y a aussi et surtout besoin d'un soutien d'accompagnement. La garantie jeunes universelle qui devrait couvrir environ un million de jeunes – le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse a rendu son rapport sur le sujet le 7 janvier – pourrait apporter une réponse en agrégeant plusieurs dispositifs, "même si, pour l'instant ce n'est pas encore bien précis et que les travaux sont en cours".
Sur la contractualisation avec les départements, un premier bilan a été établi à l'été 2020. Mais il n'est pas très probant, car les premières conventions ont été signées à la mi-2019 et leur mise en œuvre s'est rapidement heurtée à la crise sanitaire. Du coup, le bilan ne porte que sur deux à quatre mois de déploiement effectif. Dans ces conditions, il a été décidé d'autoriser les reports de crédits, alors que l'idée initiale était de ne renouveler les conventions qu'à la condition que les objectifs traduits par les indicateurs de la convention soient atteints.
A ce jour, un bilan plus complet des conventions est en cours. Il n'est pas public, "car le sujet est très sensible, à l'approche de nouvelles échéances électorales" en juin. Marine Jeantet a toutefois indiqué qu'"on partait de très loin sur les indicateurs". Elle constate une "grosse hétérogénéité" dans les résultats et considère que "pour l'instant, on a des choux et des carottes". Elle a donc demandé aux commissaires à la prévention et à la lutte contre la pauvreté de mener une analyse plus qualitative. Pour la déléguée interministérielle, "on est parti sur du temps long. On ne pourra pas obtenir les choses en deux ans, mais il faut maintenir une pression [...] On peut accepter de ne pas contractualiser en 2021, mais c'est un choix politique".

Data Mining, cantines à un euro et maraudes numériques

Enfin, Marine Jeantet est revenue plus brièvement sur certains sujets plus circonscrits. Ainsi, sur l'accès aux droits, elle a indiqué que la branche Famille met en place une politique de "Data Mining", testée dans plusieurs CAF, afin d'identifier les personnes qui passeraient à côté de certains droits. Mais, par définition, une telle démarche ne peut toucher que les personnes déjà connues des CAF. Conclusion : "Ce n'est pas si rentable que ça". Pour la déléguée interministérielle, la réponse passe plutôt par "l'aller vers", mais qui n'est pas toujours dans la culture de la sécurité sociale. Elle a cependant cité le cas des agents des CAF qui se sont rendus dans les centres d'hébergement à la sortie du confinement : "Ça a très bien marché sur les droits à l'assurance maladie, moins sur les droits sociaux en raison des problèmes de domiciliation". Sur ce point, la déléguée a incité les parlementaires à aller voir ce que font certains CCAS, qui semblent ignorer leur obligation légale de domiciliation.
Autre sujet qui "ne marche pas" : les cantines à 1 euro, malgré la mise en évidence, par défaut, de l'importance des cantines scolaires pour les ménages les plus précaires. Sur 4.000 communes éligibles, seules 200 ont donné leur accord, malgré une contribution de l'Etat portée de 2 à 3 euros. La délégation travaille donc à un élargissement des critères, afin de permettre à davantage de communes d'accéder au dispositif. 
Enfin, interrogée sur la difficulté à toucher les publics jeunes, Marine Jeantet a reconnu que l'Etat manquait de compétences en marketing et n'a pas fait assez de démarches en ce sens. Mais la délégation se prépare à tester des "maraudes numériques" pour toucher et fidéliser les jeunes sur les réseaux sociaux.

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