Alors que les départements attendent toujours une réponse de l'Etat sur la prise en charge des mineurs non accompagnés (MNA), l'Odas (Observatoire national de l'action sociale) présentait aujourd'hui une étude à contre-courant, mettant en valeur l'implication et les capacités d'initiative des départements pour prendre en charge ces mineurs.
Pour Jean-Louis Sanchez, le délégué général de l'Odas, "l'étude montre que les départements peuvent renouer avec une capacité d'innovation qui nous a étonnés". Intitulée précisément "Les modes d'accueil adaptés aux mineurs non accompagnés : face à l'urgence, des départements innovent", l'étude repose avant tout sur une approche qualitative menée à partir d'un recensement d'initiatives de terrain témoignant de cette "volonté de bien faire", même si elle s'appuie aussi sur un questionnaire adressé à tous les départements et qui a fait l'objet de 83 retours. L'idée directrice est en effet d'identifier "des exemples transposables, adaptés et avec des coûts moindre" que les coûts habituels de l'aide sociale à l'enfance (ASE).
Favoriser l'autonomie
En pratique, les MNA pris en charge sont des jeunes de 16 à 18 ans - essentiellement des garçons. Originaires en majorité d'Afrique de l'Ouest, ils ne déposent donc pas de demande d'asile, qui serait très probablement refusée au titre de réfugié "économique". Point important : l'étude porte sur la prise en charge des mineurs confiés à l'ASE après la phase d'évaluation et la détermination de la condition de minorité. Elle n'intègre donc pas les mineurs "clandestins" ou les mineurs "en transit" comme ceux de Calais.
Pour Claudine Padieu, la directrice scientifique de l'Odas, ces mineurs se caractérisent par une maturité et une volonté beaucoup plus marquées que chez les autres jeunes de l'ASE du même âge : "Ce sont des jeunes qui veulent étudier, qui veulent avoir un travail"... Dans ce contexte, Claudine Padieu estime qu'environ un tiers des départements se sont lancés dans des réponses innovantes, un tiers sont dans une situation intermédiaire mais sont prêts à innover et un tiers s'en tiennent pour l'instant aux réponses classiques de l'ASE.
Pour les départements qui ont choisi d'innover, la réponse réside dans la mise sur pied de parcours de semi autonomie, permettant de passer rapidement à une très large autonomie. Le temps est en effet compté, en raison de l'âge avancé de ces mineurs et de la difficulté croissante à financer des admissions au statut de jeune majeur. L'insertion dans une formation qualifiante est également indispensable pour espérer une régularisation de la situation de ces jeunes à leur majorité (obtention d'un titre de séjour).
Les appartements partagés, mieux intégrés et moins chers
Les premières réponses innovantes des départements repérées par l'Odas concernent la mise en œuvre de modes d'hébergement adaptés au profil des MNA. Près de neuf départements sur dix disent ainsi avoir organisé des modes d'hébergement spécifiques, plus en phase avec les besoins de ces jeunes, mais aussi moins coûteux que les Mecs (maisons d'enfants à caractère social). Après parfois un accueil collectif le temps de construire un parcours, les MNA sont orientés vers des appartements partagés entre plusieurs jeunes. Une solution, encadrée par les professionnels de l'ASE, qui facilite aussi l'insertion dans le quartier et contribue à développer l'autonomie. L'Odas évalue le coût à la place à moins de 100 euros par jour (et même 60 à 70 euros en province), contre 170 euros dans les Mecs.
Autre solution, développée notamment en Loire-Atlantique : l'accueil dans des familles bénévoles (accueil citoyen ou parrainage). Séduisante sur le papier, cette solution nécessite cependant un accompagnement soutenu des familles par les professionnels.
Mobiliser les acteurs de l'insertion
En matière d'insertion professionnelle, les départements - compétents dans le champ de l'insertion à travers le RSA - ont développé des liens avec les entreprises et les acteurs de la formation. Certains ont su ainsi mobiliser des réseaux d'entreprises, qui accueillent des MNA pour des stages ou des formations qualifiantes courtes. Au besoin, le statut de jeune majeur peut être accordé pour permettre au jeune d'achever sa formation. Sans surprise, les départements les plus investis dans cette approche sont aussi ceux qui ont déjà noué les relations les plus soutenues avec les entreprises dans le cadre de leurs politiques d'insertion.
De leur côté, les Mecs qui accueillent des mineurs non accompagnés disposent parfois de structures de formation pré-qualifiantes ou qualifiantes dans lesquelles ces jeunes peuvent s'inscrire. Les relations avec l'Education nationale semblent en revanche plus aléatoires et très variables d'un département à l'autre. Les MNA ayant, pour la plupart, plus de seize ans, ils ne sont pas soumis à l'obligation scolaire, mais des mises à niveau restent souvent nécessaires, y compris en français pour les jeunes originaires de pays francophones d'Afrique de l'Ouest.
De l'influence du football sur l'insertion des MNA
Sur l'accès à la santé, tous les MNA confiés à l'ASE bénéficient de la protection universelle maladie (Puma), mais certains départements vont plus loin en organisation de véritables parcours de soins, même si la prise en charge psychologique ou psychiatrique demeure encore souvent insuffisante pour des jeunes ayant connu des parcours traumatisants.
Pour préparer le passage à l'âge adulte, certains départements ont également pris soin d'anticiper les démarches administratives avec les préfectures. L'objectif est alors d'engager, le plus en amont possible, les démarches de régularisation administrative, afin de ne pas laisser s'installer des périodes de latence dans le parcours de ces jeunes.
Enfin, en matière d'accès à la vie sociale, tous les départements développent des relations avec les clubs sportifs - on ne dira jamais assez le rôle des clubs de foot dans l'intégration des MNA ! -, mais aussi avec les centres sociaux et les associations culturelles.
Féminisation et empathie
Au final, l'étude de l'Odas et les quelques fiches qui retracent des initiatives jugées transposables donnent une image de l'engagement et des capacités d'initiative des départements assez différente de celle qui transparaît dans les prises de positions récentes de l'Assemblée des départements de France. Face à la forte progression du nombre de MNA - même si la situation de la France n'a rien à voir avec celle de l'Allemagne - et à la dérive des coûts, celle-ci réclame plus que jamais un engagement financier beaucoup plus fort de l'Etat. Le récent débat au Sénat sur la question des MNA témoigne de cette demande (voir notre article ci-dessous du 18 janvier 2018).
Pour expliquer cet engagement des départements sur le terrain, loin des contentieux budgétaires avec l'Etat, Claudine Padieu voit aux moins deux explications : la féminisation des exécutifs départementaux, qui expliquerait une plus grande attention portée à la dimension éducative, et le fait que la maturité et la volonté de s'insérer des MNA serait garante d'une insertion réussie - même si les résultats manquent encore faute de recul -, favorisant ainsi la mobilisation de tous les acteurs. Conclusion de Jean-Louis Sanchez : "Quand on parle de migrants, on ne parle que de difficultés. Pourtant, il y a toute une zone de lumière dont personne ne parle !". Avec cette étude de l'Odas, c'est désormais chose faite.
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