Volontairement insolite, le titre du rapport remis le 8 janvier à Roselyne Bachelot-Narquin est fait pour retenir l'attention. Plutôt que les traditionnels "sans-abri", il vise en effet la santé des personnes "sans chez soi". Dès le prologue, les auteurs s'expliquent sur ce choix, longuement débattu au sein du groupe de travail et qui n'a rien d'une coquetterie de style. Pour les auteurs en effet, "la question du 'chez soi' renvoie à la citoyenneté (notamment au respect des droits fondamentaux et constitutionnels) et à l'accomplissement d'une vie pleine et entière, et pas seulement à la protection contre les intempéries ou à des logiques de survie". Ce choix, tout comme celui de "rétablissement" dans le sous-titre "Plaidoyer et propositions pour un accompagnement des personnes à un rétablissement social et citoyen", sont caractéristiques d'un rapport qui détonne dans la production habituelle et s'appuie sur des expériences vécues.
Un état des lieux inquiétant
Mandaté par la ministre de la Santé, le groupe de travail devait notamment identifier les freins dans les dispositifs actuels d'accès aux soins pour les personnes sans chez soi, lister les leviers d'amélioration, proposer des solutions novatrices et préconiser des méthodes d'évaluation des expérimentations. Mais il est vite apparu que l'accès aux soins et les problématiques de santé - et notamment de santé mentale - étaient indissociables des autres aspects de l'exclusion. Le rapport est donc organisé en quatre parties. La première consiste - après un essai de définition du "sans-abrisme" - en un état des lieux des liens entre l'état de santé et le fait d'être sans chez soi. Il a le mérite d'aborder tous les aspects de la vie dans la rue, y compris certains rarement évoqués (violence, sexualité, personnes vieillissantes à la rue...). Accompagné de quelques cas vécus particulièrement saisissants, le rapport pointe des taux de prévalence de toutes les pathologies très fortement supérieurs à ceux observés en population générale. Les taux de mortalité et l'espérance de vie sont également sans commune mesure. Un recensement des décès de personnes sans chez soi effectué par l'association "Les morts de la rue" montre ainsi un âge moyen au décès de 49 ans. Une autre étude à Marseille (portant seulement sur 44 personnes) observe une moyenne d'âge au décès de 56 ans pour les hommes et 41 ans pour les femmes. L'espérance de vie est donc inférieure d'une trentaine d'années à celle de la population générale... La situation n'est pas meilleure en matière de santé mentale et d'addictologie, avec en particulier une moyenne de 40% de dépendance à l'alcool. L'étude remet toutefois en cause l'idée que la rue serait "une alternative" aux carences de la prise en charge en établissement psychiatrique.
Un émiettement très préjudiciable
La seconde partie du rapport s'attache aux "interactions" avec les dispositifs sanitaires, sociaux et judiciaires. Les auteurs y mettent notamment en évidence les effets délétères de l'émiettement des politiques et des dispositifs de lutte contre l'exclusion. De nombreux dispositifs ont été mis en place des dernières années, mais leur efficacité souffre d'"une insuffisance de coordination et/ou d'un cloisonnement des stratégies, des lignes budgétaires et des pratiques". Selon les auteurs, ce manque de coordination ne concerne pas que les instances de décisions, mais existe aussi le travail de terrain. Tout en paraissant assez sceptiques sur les bénéfices à attendre de la mise en place des agences régionales de santé - qui ont précisément vocation à rapprocher le sanitaire et le social -, le rapport estime indispensable d'introduire davantage de coordination et de transversalité. De façon plus précise - même si cela se limite parfois à une accumulation de cas vécus -, le rapport détaille les difficultés rencontrées aux urgences, dans les services hospitaliers, en médecine libérale ou dans les pharmacies. Il aborde également la place des questions de santé dans les CHRS et au sein de l'institution judiciaire (santé mentale).
Système de santé : une offre, mais pas toujours adaptée
La seconde partie est consacrée à un long développement spécifique et plus approfondi sur les interactions avec le système de santé. Il revient en particulier sur les cas de refus de soins opposés à des bénéficiaires de la CMU. Il montre également à quel point le "parcours de soins" mis en place par l'assurance maladie est peu adapté au cas des personnes sans abri. D'autres approches apparaissent plus pertinentes - mais aussi plus ponctuelles - comme les permanences d'accès aux soins ou les équipes mobiles psychiatrie-précarité. En matière de psychiatrie, le rapport pointe notamment la faiblesse de l'aval de l'hôpital, qui "est probablement le secteur de la psychiatrie le moins développé aujourd'hui en France". Enfin, il passe en revue plusieurs expériences innovantes sur des approches de santé communautaire ou des dispositifs de réduction des risques.
Signe tangible de l'imbrication des problématiques, la troisième partie est entièrement consacrée au passage de l'hébergement au "chez soi'". Sur un sujet déjà largement abordé, ce n'est pas la plus originale du rapport, à l'exception de la proposition de mise en oeuvre d'expériences de "housing first". Déjà menées à l'étranger (Canada et Etats-Unis), elles consistent à favoriser l'accès rapide à un logement permanent de personnes durablement à la rue et présentant des troubles mentaux (sans préalable sur l'addiction à l'alcool par exemple), tout en mettant en place un accompagnement pluridisciplinaire dans la durée. Enfin, la dernière partie du rapport, plus brève, est consacrée aux dispositifs d'évaluation et de recherche.
Les Maliss, une solution innovante
Tous les chapitres sont accompagnés de nombreuses propositions - non chiffrées - dont plusieurs préconisations innovantes. On peut les regrouper en cinq grands axes d'action : le décloisonnement des politiques sanitaires, l'amélioration de la coordination des dispositifs d'accompagnement, le développement de nouvelles pratiques professionnelles, l'amélioration de l'hébergement et de la réinsertion et la promotion de la recherche et de l'évaluation. Parmi toutes ses propositions, l'une des plus originales est la création des Maliss (maisons d'accompagnement, de liaison et de suivi socio-sanitaire). Inspirées pour partie des Clic et des MDPH, elles auraient pour vocation de constituer des plateformes d'orientation, de coordination et de ressources.
La ministre de la Santé ne s'est pas encore prononcée sur les suites réservées à ce rapport original et très fouillé. Contrairement au sort réservé à d'autres travaux du même type, ce document pourrait bien bénéficier d'une opportunité européenne. Le 1er janvier 2010, s'est en effet ouverte l'Année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Grâce à l'adoption d'un certain nombre d'orientations générales, celle-ci devrait favoriser l'éclosion de mesures nouvelles dans chacun des Etats membres...
Jean-Noël Escudié / PCA
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